Elliott Verdier est photographe. Passé par l’école de condé dont il est sorti diplômé en 2015, il travaille désormais pour de nombreux titres de la presse nationale ou internationale sans pour autant délaisser ses projets personnels photographiques centrés autour de la résilience et la mémoire…
De Roschdy Zem, acteur, à Cookie Kunty dragqueen à succès en France, en passant par Thomas Piketty économiste français, Elliott Verdier se plaît à photographier des personnalités de différents horizons pour M Le Monde ou encore Le New York Times. En parallèle, il développe des projets photographiques personnels. Le dernier, Reaching for Dawn, a fait l’objet d’un livre paru aux Editions Dunes, récompensé par le Prix HiP du livre-photo 2021. Il est actuellement exposé à la Galerie Echo 119 jusqu’au 20 mai 2023 à Paris. Il a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions…
Comment te définirais-tu comme photographe ?
Je dirais que je suis plutôt photographe documentaire. Quand je suis à Paris, je travaille régulièrement pour la presse plutôt en portrait notamment avec le New York Times et, en parallèle, je mène des projets à long terme dans des pays qu’on connait peu sur des sujets qui traitent de thématiques autour de la mémoire collective, la résilience et la transmission intergénérationnelle. Ces projets me permettent d’obtenir des publications dans la presse, des expos et des livres et me donnent une visibilité qui me permet aussi de travailler dans la presse en tant que portraitiste.
Te sens-tu proche parfois d’un journaliste ?
Non, je ne me considère pas du tout comme journaliste même si je peux traiter de sujets de société. Ce que je vais apporter, c’est un peu un regard d’auteur sur une situation ou un sujet qui peut intéresser certaines personnes.
Peux-tu nous parler de ton dernier projet, Reaching for Dawn ?
Il se passe au Liberia. C’est un projet sur l’après guerre civile (qui s’est terminée en 2003). Depuis aucun homme n’a été jugé, aucun mémorial érigé, il y a un vrai déni de mémoire collective et un traumatisme encore très présent vu que rien n’a été fait pour le dépasser. Je dirais que mon travail là-bas s’approche de la photographie documentaire mais va aussi à la frontière de quelque chose de plus artistique, ce n’est pas du photo-journalisme, ce sont des photos qui prennent leur temps.
Comment as-tu réalisé Reaching for Dawn ?
J’ai fait trois voyages au Liberia, à chaque fois d’un mois. Lors de mon premier voyage au Libéria, je n’ai pas fait d’image. Le but était de me défaire de ce qui m’était parvenu pour poser un regard plus déconstruit, et mieux angler le sujet que je voulais traiter. Un peu comme un repérage. Puis je suis reparti deux fois un mois. Je travaille avec une chambre photographique qui est un appareil à l’ancienne avec un soufflet, un voile qu’on met sur la tête quand on prend la photo. Cela nécessite un temps beaucoup plus long où il faut s’installer, discuter avec les gens, c’est un autre rapport vraiment. C’est une technique que j’ai apprise à l’école et ça a beaucoup servi le projet dont je voulais parler.
Qu’est-ce que tu aimes dans la chambre photographique ?
Pour moi, au niveau de l’esthétisme, c’est une technique que n’a jamais encore égalé le numérique. C’est aussi un temps plus long comme je le disais, où on est obligé de parler aux gens du projet qu’on va mener et des raisons pour lesquelles ils vont être amenés à poser. D’ailleurs, toutes les personnes qui acceptent l’ont fait en toute connaissance de cause et ça les oriente sur leurs expressions. Quand la prise de vue commence, ils sont déjà empreints de tout cela. Pour ce projet-là, nous avons en plus enregistré en studio des témoignages de 7 bourreaux et 7 victimes de la guerre. Concernant mes photos, je n’aime pas vraiment légender les images avec des textes, je préfère laisser libre court à l’imaginaire des gens. Retranscrire seulement à travers l’image.
Pourquoi ce nom Reaching for Dawn ?
Lors de ce premier voyage où je n’ai pas fait d’image, en discutant avec les gens, je me suis rendu compte que la nuit revenait souvent dans nos conversations comme le moment où le traumatisme refaisait surface et devenait presque palpable. La nuit, on est seul avec soi-même, ses cauchemars, les flashbacks de la guerre… Il m’est apparu que c’est cette nuit noire, pesante, silencieuse et fantomatique qui devait symboliser le traumatisme. Reaching for Dawn ça veut dire parvenir à l’aube, atteindre l’aube, et donc se défaire de cette nuit crasse et dépasser les chaînes invisibles qui ligotent toujours les Libériens et Libériennes.
Qu’as-tu retenu de tes trois mois passé là-bas ?
Difficile et vaste question. Il faut sans doute laisser passer du temps pour se rendre
véritablement compte de ce qui nous reste d'une expérience. Une chose qui restera surement,
c'est cette sensation de percevoir la charge du passé sur le pays et ses habitants. Partout où je
posais le regard, je voyais le chemin qui les avait menés jusqu'ici. Toute l'histoire. Elle avait
comme fondu sur eux, de tout son poids et semblait guider leurs pas.
La photographie, c’est un domaine qui t’a toujours intéressé depuis l’enfance ?
Oui, j’ai toujours voulu être photographe.
Tu as fait tes études en photographie à l’école de condé. Qu’as-tu pensé de ta formation ?
Quand j’ai intégré l’école de condé, cela faisait seulement trois ans que la formation avait ouvert donc c’était une formation assez jeune. Elle m’a permis de gagner beaucoup de temps en termes de maturité artistique. J’ai grandi aussi en voyant le travail des autres étudiants, nos échecs et nos réussites, nous avons réfléchi ensemble et forcément ça a fini par développer largement ma culture de l’image. Aujourd’hui, je pense que tout le monde peut prendre une bonne photo mais tout le monde ne peut en revanche pas être photographe. Je m’explique : avec la technologie actuelle, les appareils sur le marché, on peut évidemment arriver à prendre une belle photo, mais être photographe c’est différent, c’est construire un corpus d’images qui vont amener à construire une narration cohérente.
Pour découvrir le travail d'Elliott Verdier, c'est par ici.
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